Nos amis grecs et les
militants de Thessalonique ont besoin de notre aide et de notre solidarité pour
que l’eau reste dans les mains du public !
À Thessalonique une lutte
contre la privatisation de l'eau est en cours. EYATH, la société publique d’eau
et d'assainissement de Thessalonique, va être vendue dans le cadre du programme
d'austérité de la Troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et
FMI).
Le projet de privatisation
des services d'eau a soulevé une large résistance à Thessalonique. Dans le but
de donner la parole aux citoyens, une assemblée générale du collectif SOS te
nero (Sauvons notre eau) a décidé d'organiser un référendum populaire sur la
privatisation de l'eau, qui se tiendra le dimanche 18 mai 2014, en même temps
que le premier tour des élections locales.
"Ce référendum a un
caractère populaire, et découle essentiellement de la volonté des citoyens de
faire connaître leur opinion sur la gestion future des services publics de
l’approvisionnement en eau et de l’assainissement". (Association régionale
des municipalités de Macédoine centrale, décision unanime du Conseil concernant
le référendum local sur la privatisation de EYATH, 14 Mars 2014)
Le référendum est non
contraignant, mais il est prévu que les investisseurs respectent le résultat du
référendum s’il dit qu'ils ne sont pas les bienvenus.
L’European Water Movement
soutient ces efforts contre la privatisation au côté de nos amis grecs.
La défense des services
publics de l'eau est un enjeu mondial, une question d'intérêt commun, même si
les luttes ont lieu au niveau local.
Privatisations forcées en Grèce : Suez convoite
l’eau d’Athènes et de Thessalonique
PAR OLIVIER PETITJEAN
Comme condition de l’aide
financière apportée par la « troïka », la Grèce s’est vu imposer des
mesures d’austérité drastiques et la privatisation de plusieurs entreprises
publiques. Parmi celles-ci, les compagnies de l’eau d’Athènes et de
Thessalonique – deux entreprises rentables que personne, localement, ne
souhaite voir passer sous le giron du privé. Le gouvernement grec et ses
créanciers paraissent néanmoins décidés à imposer une politique au bien-fondé
économique contestable et à la légitimité démocratique douteuse.
Particulièrement active au premier rang des candidats au rachat du service de l’eau
de Thessalonique et d’Athènes, une entreprise française : Suez
environnement.
Suite de l'article...
« Right2Water », initiative citoyenne
européenne sur le droit à l’eau et contre la privatisation, a annoncé en
novembre dernier avoir recueilli suffisamment de signatures (1,9 million dans
toute l’Union) pour obliger les institutions européennes à se saisir du
dossier. C’était la première fois que cette nouvelle procédure participative,
introduite par le traité de Lisbonne, était mise en œuvre avec succès. Une
audition s’était tenue avec les parties prenantes au Parlement européen, le 17
février dernier, pour discuter des suites à donner à l’initiative. Dans
sa réponse officielle, publiée le 19 mars, la Commission s’est néanmoins
refusée à toute action législative dans ce domaine, même si elle s’est trouvée
forcée de reconnaître, comme à contre-coeur, que l’eau est un « bien
public » et qu’il revient aux collectivités locales d’assumer la
responsabilité ultime de ce service. Une réponse jugée trop timorée par les porteurs
de l’initiative citoyenne, et qui vient aussi confirmer, d’une certaine
manière, le peu de responsabilité démocratique des institutions européennes.
D’autant plus qu’au moment même où des centaines de
milliers de citoyens européens se mobilisaient ainsi ouvertement contre la
privatisation de l’eau, celle-ci connaissait un nouvel élan sur le terrain, à
la faveur de la crise de l’euro. En Espagne, au Portugal, en Italie, en dépit
de la volonté des citoyens et, le plus souvent, des élus eux-mêmes, la
privatisation de l’eau est revenue à l’ordre du jour. Selon les syndicats et
les militants anti-privatisation, alors même que les responsables européens
continuaient à affirmer haut et fort leur neutralité de principe entre gestion
publique et gestion privée, ils ont concrètement profité de la crise pour
promouvoir, de manière souterraine, la privatisation de l’eau comme solution
aux problèmes budgétaires des États et des collectivités locales du continent.
En Grèce, la privatisation des services de l’eau des
deux principales villes grecques, Athènes (EYDAP) et Thessalonique (EYATH), a
été exigée par la « troïka » dans le cadre du traitement de choc
socio-économique infligé à un pays en pleine crise financière. La troïka, au
sein de laquelle sont associés Commission européenne, Banque centrale
européenne et Fonds monétaire international, mais qui fonctionne de manière
aussi autonome qu’opaque, a imposé à la Grèce une série de
« conditions » pour le versement des tranches successives de l’aide
financière internationale – parmi lesquelles une réduction du nombre de
fonctionnaires et la cession au privé d’innombrables propriétés et entreprises
publiques. La mise en œuvre de cette politique a entraîné, pour les Grecs, une
diminution dramatique de leur niveau de vie et de leur accès aux services
essentiels, notamment dans le domaine de la santé. Selon ses opposants, réunis
sous la bannière de la coalition SOSte to NERO, la privatisation des
services de l’eau de Thessalonique et d’Athènes ne peut que marquer un nouveau
recul, au bénéfice exclusif d’intérêts commerciaux (grecs ou internationaux),
aux dépens des citoyens grecs et, en dernière instance, de la démocratie.
La crise de l’euro, une aubaine pour
Suez environnement ?
Du côté de Suez environnement, on s’est ouvertement réjoui
des « opportunités » ouvertes par la crise des finances publiques en
Europe du Sud. À travers sa filiale espagnole Agbar, le groupe français a ainsi
cherché à prolonger et étendre ses contrats de gestion de l’eau et de
l’assainissement à Barcelone et en Catalogne, dans des conditions
problématiques sur le plan juridique. Ces visées hégémoniques ont entraîné un
conflit (encore non résolu à ce jour) entre Agbar et la Généralité de
Catalogne, qui a souhaité favoriser un autre consortium. Suez environnement a
également renforcé son implication dans Acea, firme italienne en
charge de l’eau et de l’électricité de Rome et impliquée dans la gestion
de l’eau et de l’assainissement de plusieurs villes du Latium et de Toscane.
Objectif ? Créer progressivement un « troisième pilier » pour le
groupe en Italie, aux côtés de ses marchés historiques français et espagnol. Et
tant pis si, lorsqu’ils ont été consultés par référendum, les Italiens aussi
bien que les Espagnols se sont massivement prononcés contre la privatisation de
l’eau.
En Grèce, Suez se déclare intéressée aussi bien par le
service de l’eau d’Athènes que par celui de Thessalonique. Ces deux
acquisitions semblent d’autant plus avantageuses pour le groupe français que la
bourse grecque s’est effondrée suite à la crise financière. EYDAP et EYATH
peuvent donc être acquises pour une somme relativement modeste au regard de
leur santé financière réelle. C’est à Thessalonique que le processus de
privatisation paraît le plus avancé, même si, dans les deux cas, le processus
de privatisation se heurte à des nombreux obstacles juridiques et politiques.
Le gouvernement grec assurait encore récemment que le transfert d’EYATH au
privé pourrait être bouclé dès le mois de mars 2014.
Au terme de l’appel d’offres lancé début 2013, les
deux consortiums encore en lice pour racheter les parts de l’État grec dans le
service d’eau de Thessalonique sont celui emmené par Suez environnement et un
autre conduit par Mekorot, la compagnie israélienne de l’eau. Suez, qui cherche
à acquérir 51% de parts dans EYATH et prendre en charge dans la foulée la
gestion de l’entreprise, est associée au groupe grec de BTP EllAktor, contrôlé
par l’homme d’affaires George Bobolas (dont le groupe est aussi propriétaire de
plusieurs médias grecs). Tout le monde semble considérer la firme française
comme le grand favori, du fait qu’elle a déjà une participation de 5% dans
EYATH et semble disposer de meilleures connexions politiques.
Jusqu’ici, les négociations sur les conditions de
vente d’EYDAP et EYATH se sont déroulées dans des conditions opaques, dans le
cadre de discussions entre gouvernement grec (via la TAIPED, son agence
spéciale en charge du programme de privatisations), la troïka et les
investisseurs potentiels. Cette absence de transparence s’explique en partie
par le fait que la TAIPED, à laquelle ont été transférées toutes les parts de
l’État grec dans les entreprises à privatiser, n’est plus soumise à aucune
forme de supervision parlementaire. Initialement, la privatisation des deux
sociétés ne devait être que partielle, mais un vote du Parlement de fin 2012 a autorisé l’État grec
à céder toutes ses parts. Les rumeurs les plus folles ont circulé sur les
montages financiers envisagés et les conditions excessivement favorables qui
pourraient être faites aux investisseurs. Du fait du cours actuel d’EYATH en
bourse, le montant de la transaction devrait être d’environ 110 millions
d’euros (pour 51% de parts).
Résistance locale et internationale
La perspective d’une privatisation du service de l’eau
de Thessalonique, voulue par l’État grec sous pression européenne, remporte une
forte opposition dans la ville. La coalition SOSte to NERO, créée à
l’initiative des syndicats locaux, a organisé la résistance localement et a
réussi à mobiliser de nombreux soutiens internationaux. Plusieurs maires de
l’agglomération ont exprimé leur souhait de racheter eux-mêmes les 51% de parts
d’EYATH destinés aux prestataires privés. Un groupe de citoyens et de
syndicalistes issu du mouvement d’opposition à la privatisation a tenté de
participer officiellement à l’appel d’offres dans le cadre de
l’« Initiative 136 ». Celle-ci proposait une reprise d’EYATH par les
citoyens de Thessalonique eux-mêmes, sous la forme d’un réseau de coopératives
d’usagers. Chaque habitant de la ville aurait acquis une part non-transférable
du service de l’eau, pour un montant de 136 euros par logement connecté au
réseau. Il était envisagé de faire appel à des « investisseurs
éthiques » internationaux et à des acteurs de la finance solidaire pour aider
les résidents à acquérir leur part. Cette réappropriation citoyenne devait
s’accompagner d’un fonctionnement plus démocratique et plus participatif du
service. Malheureusement, cette proposition aussi novatrice qu’hérétique par
rapport aux cadres de pensée dominants n’a pas été retenue par la TAIPED, sans
que celle-ci ait même daigné argumenter son refus.
Les opposants à la privatisation de l’eau, réunis au
niveau national sous la bannière de la coalition Save Greek Water, ont
également dénoncé dans une lettre ouverte les encouragements apportés par
François Hollande au programme grec de privatisation de l’eau, sous
prétexte qu’il pourrait profiter à des entreprises françaises. En juillet 2013,
à nouveau, un appel signé par plusieurs dizaines d’organisations, de
syndicats et de mouvements sociaux internationaux, ainsi que par une
cinquantaine députés européens, a été lancé aux deux consortiums pour qu’ils
retirent leur candidature : « Nous espérons que les entreprises
aujourd’hui ne basent plus leur modèle commercial sur l’opportunisme, ni
qu’elles cherchent à s’aventurer là où elles ne sont clairement pas les
bienvenues. Il y a une alternative à votre offre qui a l’approbation des
travailleurs d’EYATH, des habitants de Thessalonique, des municipalités et de
nous-mêmes. Il s’agit de maintenir l’eau comme bien public et de s’assurer que
sa distribution reste un service de haute qualité. »
Rien n’y a fait : ni Suez ni Mekorot ne se sont
retirées du processus. En réponse à nos questions, la firme française indique
qu’il lui « paraît essentiel que [son] intervention soit souhaitée »,
mais se retranche derrière la responsabilité de l’État grec : « Nous
pensons que les décisions de l’Etat Grec ne se font pas sans concertation avec
les autorités locales. » Le 15 janvier dernier a eu lieu la présentation
officielle, par la TAIPED, de sa proposition de transfert d’EYATH. Les employés
de l’opérateur ont marqué l’événement par une journée de grève, et les
maires des communes concernées sont intervenus en séance pour manifester leur
opposition. Mais il semble malheureusement qu’en Grèce, la voix des élus et des
citoyens ne pèse plus très lourd face aux exigences des créanciers.
Constatant que les voies démocratiques officielles ne
leur donnaient aucune prise sur le processus décisionnel, les opposants à la
privatisation et les syndicats ont décidé de prendre les choses en main en
organisant eux-mêmes à Thessalonique - comme cela avait été fait auparavant en
Italie, en Espagne ou en Allemagne - un référendum populaire sur la
privatisation de l’eau. Celui-ci aura lieu le 18 mai prochain, au même moment
que les élections locales. Sous pression de leurs administrés, plusieurs maires
de l’agglomération (dont celui de Thessalonique) ont annoncé leur intention de
soutenir la tenue du référendum, et les syndicats ont également fait circuler
un appel à soutien au niveau européen, sollicitant notamment des
contributions financières, ainsi que l’envoi de volontaires ou d’observateurs
pour aider à l’organisation du scrutin. En Grèce comme ailleurs en Europe, les
citoyens sont massivement opposés à la privatisation de l’eau. Un sondage
réalisé à Thessalonique il y a quelques mois comptait 76% d’opinions
défavorables. Même si le référendum n’aura de toute façon aucune valeur officielle,
les organisateurs espèrent qu’un vote massif contre la privatisation sera
suffisant pour dissuader Suez et Mekorot de donner suite à la transaction. Nous
avons demandé à la firme française si elle se retirerait en cas de vote massif
contre la privatisation le 18 mai prochain ; elle n’a pas souhaité
répondre à cette question.
Les opposants à la privatisation placent également
leurs espoirs dans le Conseil d’État grec, qui doit se prononcer sur la
validité constitutionnelle de la procédure de privatisation d’EYATH et d’EYDAP.
Les syndicats grecs ont saisi cette instance en faisant valoir que la création
de la TAIPED et le transfert, à cette entité non responsable devant le
Parlement, des parts de l’État grec dans des entreprises publiques assurant des
services fondamentaux, est en violation de plusieurs dispositions
constitutionnelles. La publication de la décision du Conseil d’État se fait
attendre depuis plusieurs semaines.
Mekorot déclare aujourd’hui attendre cette décision
avant de confirmer son offre de rachat d’EYATH. Alors que plusieurs sources
locales nous avaient indiqué que Suez n’avait, elle, pas hésité à déposer
malgré tout une offre officielle, l’entreprise le dément officiellement dans
ses réponses à nos questions. De manière générale, la firme israélienne semble
avoir choisi de maintenir un profil bas, par contraste avec l’activisme dont a
fait preuve Suez. Même si elle est relativement nouvelle sur la scène
internationale de la privatisation de l’eau, Mekorot s’est retrouvée au centre
de nombreuses controverses sur l’accès à l’eau dans les territoires occupés et
a été critiqué à de nombreuses reprises par les défenseurs des droits de
l’homme pour le traitement discriminatoire qu’elle réserve aux Palestiniens.
Opération séduction de Suez
Pour rendre son offre plus séduisante, la firme
française ne semble en effet pas avoir lésiné sur les promesses : elle a
annoncé en janvier 2014, par la voix de Diane d’Arras, directrice adjointe Eau
Europe, pas moins de 250 millions d’euros d’investissements sur cinq ans et la
création d’entre 2000 et 4000 emplois. Des chiffres pour le moins étonnants
dans la mesure où les profits nets annuels d’EYATH sont actuellement
« seulement » de l’ordre de 18 millions d’euros. Les critiques
soulignent que pour réaliser ne serait-ce qu’une partie de ces investissements
tout en rémunérant la société mère et ses actionnaires, une augmentation
drastique du prix de l’eau sera nécessaire. Lors d’une conférence de presse
tenue face à une assistance triée sur le volet, Diane d’Arras s’est d’ailleurs
demandée à haute voix si le prix de l’eau actuellement pratiqué à Thessalonique
était suffisant pour maintenir la viabilité du service de l’eau… Or, selon les
syndicats, ce prix a déjà été multiplié par trois depuis 2001.
La représentante de Suez a également tenté d’apaiser
les craintes en promettant de mettre l’accent sur la protection de
l’environnement, en investissant dans le traitement des eaux usées actuellement
rejetées dans la baie du Thermaikos et dans la réduction des pertes d’eau. L’entreprise
française assure aussi que le tarif du service de l’eau restera fixé par une
« autorité indépendante ». Les opposants ont rétorqué (à distance)
que de nombreux exemples passés de privatisation, notamment en Argentine, ont
montré qu’une telle autorité, créée dans la précipitation, dispose très
rarement du pouvoir et des compétences nécessaires pour encadrer un prestataire
privé bien plus puissant. Les militants anti-privatisation ne se privent pas
non plus de souligner l’ironie qu’il y a à voir Suez environnement, entreprise
lourdement endettée qui a bien du mal à réaliser des profits depuis plusieurs
années (du fait de la réduction progressive de la « manne » de la
gestion privée de l’eau en France), chercher à acquérir EYATH, qui affiche pour
sa part une bonne santé financière.
Privatisations : une logique
économique douteuse
Annoncée dès 2009, l’opération de transfert au privé
des services de l’eau de Thessalonique et d’Athènes a traîné en longueur. Un
délai qui illustre les difficultés plus générales du programme de privatisation
imposé à la Grèce. Les exigences formulées par la troïka procèdent en effet
d’une logique contestable puisque, sous couvert de réduire le train de vie de
l’État grec, on lui impose de vendre ses entreprises les plus « intéressantes »
sur le plan économique : ce sont évidemment les seules qui peuvent attirer
les investisseurs. Le programme de privatisation voulu par la troïka, qui a
déjà mené à la vente au plus offrant de nombreux actifs (ports, mines,
etc.), s’est néanmoins heurté à des difficultés importantes pour ce qui est des
plus gros « joyaux ». Le tout sur fond d’opposition jamais démentie
de l’opinion publique grecque.
Les deux principales entreprises à vendre étaient
l’entreprise gazière DEPA et la loterie nationale OPAP. La vente de la première
a été repoussée suite au retrait de l’acquéreur pressenti, le russe Gazprom,
auquel on n’avait apparemment pas offert des conditions assez favorables. La
seconde opération a bien eu lieu, mais donne aujourd’hui lieu à une série de
scandales et de procédures judiciaires impliquant les fonctionnaires et les
responsables de la TAIPED. Durant l’été 2013, le directeur de la TAIPED Stelios
Stavrides a été contraint à la démission après qu’il ait été révélé qu’il avait
utilisé le jet privé de l’homme d’affaires grec auquel a été cédé OPAP.
La Grèce a également vendu son réseau de gaz à
l’entreprise publique de pétrole et de gaz de l’Azerbaïdjan et s’apprêterait à
vendre son réseau d’électricité. D’autres privatisations envisagées, dans
le domaine des aéroports, de la métallurgie ou de l’armement, progressent
lentement du fait de la réticence de certains hommes politiques et de l’opinion
publique.
Au-delà des cas médiatisés de vente du patrimoine
national à des intérêts « étrangers », les milieux d’affaires grecs
sont souvent les premiers bénéficiaires de cette politique de privatisation.
Dans le cas de l’eau, les consortiums internationaux en lice sont étroitement
associés à des entreprises grecques proches du pouvoir. Mekorot a fait
candidature commune avec l’entreprise de BTP et de production énergétique Terna
et l’homme d’affaires George Apostolopoulos, actif dans le secteur de la santé.
Le groupe de médias et de construction EllAktor, partenaire de Suez, est
également partie prenante, avec la bénédiction du gouvernement, de projets
très contestés d’extraction d’or en Chalcidique, dans le Nord du pays,
dans le cadre d’une joint-venture avec une compagnie canadienne.
En ce qui concerne EYATH et EYDAP, comme pour les
privatisations antérieures, les critiques dénoncent les conditions financières
très favorables offertes aux acquéreurs potentiels. Les 61% de parts de TAIPED
dans EYDAP pourraient être cédées pour 350 millions d’euros, sans véritable
rapport avec sa profitabilité : 62 millions d’euros de résultat net sur
353 millions de chiffres d’affaires en 2012, sans compter des réserves de cash
de 43 millions, 881 millions de fonds propres, et plus de 1,2 milliards d’euros
de créances vis-à-vis de l’État grec et de ses diverses agences et entreprises.
La proportion entre le prix de vente d’EYATH et ses résultats financiers
effectifs est similaire. Il est question de 110 millions d’euros pour 51% des
parts, alors que l’entreprise affichait en 2013 un résultat net de 18 millions
d’euros, sur un chiffre d’affaires de 77 millions, avec des réserves de cash de
33 millions d’euros, des capitaux propres de 135 millions d’euros.
Mais il y a peut-être pire. En janvier 2014, le
quotidien grecEleftherotypia/Enet révélait que plus d’une centaine de
millions d’euros de travaux étaient prévus pour rénover le réseau d’eau et
d’assainissement de Thessalonique avant qu’il soit transféré au
secteur privé – un véritable cadeau au futur repreneur, financé à hauteur de
75% par le fonds de cohésion de l’UE et à 25% par l’État grec, presque
équivalent au prix de rachat ! Saisi par les militants anti-privatisation,
le procureur de Thessalonique a ordonné une enquête et demandé communication du
projet de contrat de transfert élaboré par la TAIPED – ce qui lui a été refusé,
comme cela l’avait été précédemment aux parlementaires grecs qui s’inquiétaient
des conditions de la privatisation.
Modèle commercial
EYATH et EYDAP ont été transformées en sociétés
anonymes en 2001, l’État grec gardant la majorité des parts. Selon les
critiques, cette évolution s’était déjà accompagnée de l’imposition de méthodes
de gestion inspirée du secteur privé : d’un côté, les effectifs et les
investissements se sont vus drastiquement réduits, et de l’autre, des copieux
dividendes étaient versés à l’État et aux municipalités. Suez environnement
avait profité de l’opération pour mettre un pied dans la porte en acquérant en
2006 un peu plus de 5% des actions d’EYATH. Le groupe français opère également
déjà à Thessalonique une unité de traitement biologique des eaux, également
dans le cadre d’une joint-venture avec EllAktor.
Selon les syndicats, suite au passage au statut de
société anonyme, l’effectif d’EYATH serait passé de 700 à 235 personnes, faute
de remplacement des départs à la retraite ; la compagnie n’aurait plus
aujourd’hui que onze plombiers pour plus de 2300 kilomètres de
canalisations. La plupart des travaux sont désormais effectués par des
sous-traitants, pour un prix supérieur. La qualité du service et l’état du
réseau se sont progressivement dégradés, malgré la hausse du prix de l’eau. Ce
qui contribue sans doute à expliquer les bénéfices affichés par EYATH au cours
des années passées – et aussi l’intérêt de firmes comme Suez.
Olivier Petitjean
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