TAFTA, PTCI, TTIP, Traité Transatlantique, ce texte a de multiples noms et pourtant il reste méconnu pour beaucoup d’entre nous.S’il est adopté dans les mois à venir, ce projet de traité risque de changer fondamentalement notre vie et notre modèle social, démocratique et écologique.
Raoul Marc Jennar, spécialiste des traités de libre-échange et de l'OMC, démystifie un texte qu'il faut combattre avec acharnement.
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Pour aller
plus loin..
Audition de Raoul Marc Jennar
sur
L’ACCORD SUR LE COMMERCE DES SERVICES
Parlement de Wallonie
Commission en charge des questions européennes
Séance du 11 janvier 2016
Je remercie votre Commission pour m’avoir invité à cette audition. Je suis, vous le savez peut-être, le co-auteur
d’une étude approfondie sur le contenu et l’impact de l’Accord Général sur le
Commerce des Services [1], cet
AGCS qui est en quelque sorte la matrice d’où est né le projet qui fait l’objet
de la réunion de ce jour. J’ai également publié un article sur l’ACS dans le Monde diplomatique.[2] Et je
vais m’efforcer de démontrer en quoi, l’ACS est plus dangereux encore que
l’AGCS pour la démocratie et les choix de société dont nous entendons garder la
maîtrise.
Mais auparavant, je souhaite inscrire ce projet dans un
ensemble plus large que je désigne comme les accords de libre-échange de la
nouvelle génération, accords qui ont profondément modifié le sens de termes
comme « commerce » ou « libre-échange » puisqu’ils
dépassent et de très loin la seule volonté de réduire ces obstacles au commerce
que sont les droits de douane et les réglementations douanières.
Le premier de ces accords de nouvelle génération est
l’ALENA, accord de libre échange nord-américain entre le Canada, les USA et le
Mexique qui inspire à beaucoup d’égards trois accords du même genre auxquels
nous sommes confrontés directement aujourd’hui : l’accord UE-Canada, dont
la négociation est terminée, l’accord UE-USA en cours de négociation ainsi que
l’ACS également en cours de négociation. Indirectement la négociation du PTCI
(ou TTIP) est impactée par l’accord de Partenariat transpacifique dont la
négociation est également terminée.
Toutes
ces négociations ont en commun
- l'élimination des droits de
douane ; une suppression particulièrement problématique pour les paysans européens,
mais aussi pour les pays en développement,
- la réécriture des règlements, des
normes et des lois par et pour les multinationales, au sein de traités et par
le biais de forums technocratiques de coopération réglementaire,
- la mise en place d'une justice
privée des multinationales contre les décisions des gouvernements et des
collectivités locales ou régionales
- des garanties et des avantages
socio-économiques dérisoires,
- la langue de bois des textes et le langage
piégé des promoteurs de ces traités,
- l'opacité des négociations pour les citoyens
et leurs élus qui contraste avec la part essentielle qu'y prennent les grandes
multinationales.
A
propos de cette dernière caractéristique, je voudrais souligner que le mandat
européen de négociation de ces traités est préparé par la Commission et cela se
fait toujours en étroite coordination avec des acteurs privés comme l’American
Chamber of Commerce et BusinessEurope, le puissant lobby patronal européen. Même
Pierre Defraigne, ancien directeur de cabinet de Pascal Lamy quand il était
Commissaire européen admet, je cite, « une
collusion systématique entre la Commission et les cercles d’affaires. »
Pour la préparation du mandat pour le PTCI/TTIP, la Commission a reconnu avoir
tenu 119 réunions sur 130 avec les représentants de ces intérêts très privés.
Les résolutions que vote le Parlement européen sur ces questions sont sans
effets de droit. Par contre, une fois le mandat adopté par le Conseil des
Ministres de l’UE - dont chacun sait que, comme collège, il n’est en rien
responsable devant une instance démocratiquement élue – ce texte devient la
politique de l’Union européenne . Le silence qui accompagne le plus souvent
l’adoption de ce mandat et qui caractérise ensuite le déroulement de
négociations qui concernent pourtant des choix de société fondamentaux
constitue un véritable déni de démocratie.
[1]
Raoul Marc JENNAR & Laurence KALAFATIDES, L’AGCS. Quand les Etats abdiquent face aux multinationales, Paris, Raisons d’Agir, 2007.
[2] Raoul
Marc JENNAR, « Cinquante Etats négocient en secret la libéralisation des
services », Le Monde diplomatique,
n° 726, septembre 2014, pp. 12-13.
Ainsi
que je l’indiquais d’emblée, l’ACS se présente comme un prolongement, comme une
aggravation de l’AGCS. Il s’agit en fait, dans un cadre plurilatéral limité à
50 Etats[3], de
tenter d’obtenir ce qui n’a pu l’être dans le cadre multilatéral des
négociations du cycle de Doha de l’OMC. Avec comme intention, avouée aux articles
5 et 9 du mandat européen, de l’imposer ensuite aux partenaires réticents de
l’OMC.
Je ne
ferai pas l’injure aux membres de cette Commission de rappeler le contenu de
l’AGCS entré en vigueur le 1 janvier 1995. Je vais donc m’employer à souligner
en quoi, on se trouve, avec l’ACS, en présence d’un AGCS aggravé.
C’est
le 18 mars 2013 que le Conseil des Ministres de l’UE a donné à la Commission
européenne mandat de négocier l’ACS. Comme pour le PTCI/TTIP dont le mandat de
négociation ne sera rendu public que 16 mois après son adoption, celui concernant
l’ACS ne sera publié par la Commission que deux ans après son approbation par
le Conseil des Ministres de l’UE. La
volonté de maintenir le secret est manifeste jusqu’au jour où les fuites étant
à ce point nombreuses, le secret sur le mandat devient dérisoire. Mais le black
out est total sur le déroulement des négociations.
Comme
vous le savez, les négociations en cours se déroulent dans le plus grand secret
dans les locaux de l’Ambassade d’Australie, à Genève. Et contrairement aux vœux
lénifiants du Parlement européen, répétés à satiété mais sans le moindre effet,
la Commission européenne se garde bien de « tenir le Parlement immédiatement et pleinement informé à toutes les
étapes des négociations. » (Résolution du 4 juillet 2013).
Ce
mandat, qui s’en étonnera, s’inscrit parfaitement dans les attentes exprimées
le 5 juillet 2012 par le groupe qui s’autoproclame très abusivement « très
bons amis des services », attentes exprimées directement lors de réunions
à la Commission européenne avec The European Services Forum, le lobby patronal
du secteur des services.
La
philosophie à la base de l’AGCS comme de l’ACS, c’est de considérer toutes les
activités de services comme des produits à consommer (commodities, en anglais) en ignorant totalement leurs fonctions dans
la société, qu’il s’agisse de services comme la santé, l’enseignement, les
services sociaux, culturels ou environnementaux, par exemple. Les bénéficiaires
de ces services ne sont pas considérés comme des citoyens ou comme des usagers ayant
des droits, mais comme des consommateurs, des clients.
Rappelons,
quand on parle de services, de ce dont il s’agit. Selon la définition de l’OMC,
il s’agit « de tous les services de
tous les secteurs ». Et la
nomenclature qu’on peut retrouver sur le site de l’OMC concerne 12 secteurs
subdivisés en 160 sous-secteurs. La volonté qu’aucune activité de service ne
puisse échapper à l’objectif poursuivi est illustrée par le fait que le
douzième secteur s’intitule « divers » et que chaque sous-secteur
comporte également une rubrique « divers ». Quelques exemples :
les services financiers, le commerce de détail, les services de conseil, les
services de santé, l’éducation, la formation, la communication, la poste, les
transports, l’eau, l’énergie, les déchets, les services sociaux, les assurances
sociales, la sécurité, l’exécution des peines pénales et bien d’autres activités.
Le
statut du fournisseur de service n’est pas pris en compte, qu’il soit public ou
privé. Ce qui est appréhendé, ce sont les obstacles à la concurrence qu’il faut
éliminer. L’objet de l’ACS, c’est d’aller encore plus loin que l’AGCS dans le
domaine de la dérégulation afin d’éliminer tous les obstacles à la concurrence
et de soumettre aux logiques du marché les activités de service, y compris
celles qui sont gérées par les pouvoirs publics. La négociation en cours veut
éliminer les flexibilités que laissait encore l’AGCS dans la mise en œuvre de cet
accord par chacun des Etats, une flexibilité dénoncée par les lobbies des
entreprises de service, ce dont même le Parlement européen s’est fait l’écho.
L’ACS
poursuit un double objectif. D’une part, faire en sorte que l’état
d’avancement actuel de la libéralisation des activités de service qui résulte
d’une application de l’AGCS ne puisse pas être remis en question et, d’autre
part, provoquer de nouvelles avancées qui doivent, elles aussi, être
définitives.
Pour
réaliser le premier objectif, le mandat européen prévoit de créer une clause de
statu quo qui doit figer le niveau actuel de libéralisation et empêcher, dans
un secteur actuellement ouvert à la concurrence, le retour au statut de service
public et encore moins au statut de monopole de service public. Il s’agit de
verrouiller les libéralisations et privatisations déjà réalisées.
Pour atteindre
le second objectif, le mandat européen de négociation prévoit une série de
nouveautés par rapport à l’AGCS :
1) L’introduction
d’une clause dite de l’effet de cliquet qui rendra impossible à l’avenir toute
marche arrière. Très concrètement et à titre d’exemple, il sera impossible dans
le domaine des marchés publics, de revenir à une gestion publique de la
distribution d’eau lorsque celle-ci aura été confiée à une firme privée ;
d’une manière générale, il sera impossible de donner le statut de service
public à toute fourniture de service qui, dans le futur, sera privatisée. Il
s’agit de verrouiller les libéralisations et privatisations à venir.
2) L’intention
est d’appliquer, dans l’énumération des listes d’activités de services
concernées, la méthode dite de la liste négative (articles 2 et 6 du mandat
européen). C’est-à-dire que chaque Etat signataire de l’accord établira une
liste des services auxquels l’accord ne s’appliquera pas (tout en respectant la
clause de statu quo), tous les autres services, quel que soit leur degré actuel
de libéralisation, pourront faire l’objet d’une libéralisation et d’une
privatisation accrues avec application automatique de l’effet de cliquet et
application désormais intégrale du principe de l’OMC dit du traitement national
( = les fournisseurs étrangers doivent être traités de la même manière que les
fournisseurs locaux).
3) Le
mandat européen pour l’ACS (article 7), comme celui pour le PTCI/TTIP (article
15), instaure des « disciplines
réglementaires » définies par l’OMC comme étant des listes de
dispositions normatives considérées comme constituant des « obstacles inutiles à la concurrence »
parce que contenant des dispositions « plus
rigoureuses que nécessaires à la qualité du service ». On se trouve
bien devant l’intention de niveler par le bas les réglementations en vigueur
dans chaque Etat relatives aux activités de service.
4) Le
mandat européen pour l’ACS (article 8) comme celui pour le PTCI/TTIP (articles
23, 32, 45) introduit une privatisation de la justice par le recours au
mécanisme privé d’arbitrage chaque fois qu’un conflit se présentera entre une
firme privée et un pouvoir public.
5) Il
est prévu, comme dans l’AGCS, que l’accord ne s’appliquera pas aux services
fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental, mais il faut se rappeler la
définition de l’OMC à l’article 1, 3, c de l’AGCS : “service fourni
dans l'exercice du pouvoir gouvernemental s'entend de tout service qui n'est
fourni ni sur une base commerciale (donc
gratuit), ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services (donc
en monopole). » Il s’agit essentiellement des services
régaliens de l’Etat : administrations publiques, armée, police, justice.
Il ne s’agit absolument pas de ce que nous avons l’habitude d’entendre par « services
publics » et encore moins par « entreprises publiques ».
6)
Dans l’ACS, comme dans le PTCI/TTIP, des garanties sont annoncées concernant le
droit des Etats à réguler certains secteurs ; mais ces garanties sont
assorties de telles obligations de les justifier scientifiquement que les
garanties deviennent inopérantes. Il en va ainsi, par exemple, de certains
aspects des normes sanitaires ou alimentaires, mais aussi des normes techniques.
Dans ce registre, il faut souligner que l’ACS comme le PTCI permettront de
remettre en cause la protection des données de la vie privée telle que
pratiquée en Europe.
7) Il
est prévu, comme dans l’AGCS et comme dans le PTCI/TTIP, que l’accord ne
concernera pas les services audiovisuels, ce qui signifie qu’il affectera les
autres secteurs culturels qu’on retrouve
d’ailleurs dans la nomenclature de l’OMC ; des services auxquels devra s’appliquer
l’ACS : théâtres, opéras, musées, archives, bibliothèques, patrimoine.
8)
Comme lors de l’ouverture des négociations du PTCI/TTIP, la délégation
américaine a tenu à indiquer lors de l’ouverture des négociations de l’ACS, que
les mesures de libéralisation des services financiers prévues dans les deux
projets « ne peuvent en aucun cas
affecter le statut international du dollar ». La plus totale liberté
de circulation des capitaux est prévue dans les deux accords en négociation.
Pour
conclure
Ce qui
est en jeu, c’est le droit des peuples à décider de la manière dont ils
entendent organiser leur vie collective et à le décider démocratiquement.
Chaque peuple doit préserver son droit de déterminer lui-même, à l’un ou
l’autre moment de son existence, quels services la collectivité doit mettre à
la disposition des citoyens. L’accès à la santé, à l’éducation, à la sécurité
sociale, au logement, à la culture, aux biens de première nécessité comme l’eau,
à un environnement viable est-il un droit pour tous où une faveur réservée à
ceux qui peuvent se la payer ?
Telle
est la question à laquelle il vous appartient de répondre tout en sachant que
ce sont nos gouvernements qui ont donné le feu vert à ces négociations et aux
objectifs qu’elles poursuivent.
[3]
Australie, Canada, Chili, Colombie, Corée, Costa Rica, Etats-Unis, Hong Kong,
Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande,
Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Suisse, Taïwan, Turquie et le 28 Etats de
l’UE.
Je re
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