Le changement climatique a
des conséquences directes sur le cycle l'eau (inondations, sécheresses...) or
ce cycle de l'eau perturbé modifie à son tour le climat. En le restaurant on
devrait donc pouvoir agir contre le réchauffement de notre planète.. un article
de Daniel Hofnung, membre du CA d'Attac France,
co-président de la Coordination Eau~Île-de-France
Pour un plan global de
restauration des cycles naturels de l’eau et du climat
Le processus issu de la conférence de Kyoto
se préoccupe de l’effet des gaz à effet de serre sur le climat, et pose la
légitime question de leur diminution dans l’atmosphère, donc la nécessité de
rompre avec les énergies fossiles.
Un autre processus est ignoré : celui de
l’influence du cycle de l’eau, avec d’un côté sa perturbation qui dégrade le
climat, de l’autre sa restauration pour le recouvrer. Il nous ouvre pourtant
des perspectives d’action pour régénérer la planète.
La communauté internationale, après le sommet
de Rio de 1992 a
pris en charge la lutte contre ce qui apparaissait comme un lent et inexorable
processus de réchauffement climatique. La Convention Cadre des Nations Unies
sur les Changements Climatiques s’est mise en place, avec le protocole de Kyoto
de 1997 et les Conférences des Parties (COP) annuelles.
Le lien a été fait entre le réchauffement et l’augmentation des gaz à effet de
serre. Sa confirmation par des données scientifiques a été faite sur des
analyses de l’évolution du climat à travers des périodes longues :
l’évolution de la composition de l’atmosphère et l’élévation des températures
sont très lentes toutes deux.
La question du cycle de l’eau, de
l’interaction entre l’eau et les sols ont ainsi été analysés essentiellement
comme des conséquences du réchauffement climatique.
Le processus de réchauffement climatique lié
à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est lent, il
comporte des effets différés et cumulatifs. Le CO2
émis, par exemple, se stocke dans l’océan bien plus que dans l’atmosphère,
ainsi que dans les sols, celui émis hier s’ajoute à celui émis aujourd’hui, et
leurs effets s’additionnent. Il est d’emblée mondial, puisque l’air n’a pas de
frontières. Il n’est réversible que sur le long terme, puisqu’il s’agit non seulement
limiter ou arrêter les émissions, mais en plus ramener le taux de gaz à effet
de serre à un niveau plus bas qu’actuellement.
Cette focalisation sur le rôle de
l’atmosphère a fait négliger l’analyse du rôle de l’évolution d’autres milieux,
où les actions se déroulent sur un temps plus court.
Un autre processus de réchauffement
climatique, lié au cycle de l’eau, agit directement et rapidement : une
forêt coupée, c’est immédiatement de la vapeur d’eau en moins. Des nappes
asséchées, c’est immédiatement des sources qui ne coulent plus. Des sols
imperméabilisés, c’est rapidement de l’air plus chaud l’été. Mais ici, si on
corrige la cause, des effets à court terme se font sentir : les
interventions portant sur le réchauffement climatique liés au cycle de l’eau ou
à la biosphère donnent des résultats relativement rapides, qui se chiffrent en
années ou au plus en décennie.
La crise climatique nous confronte à de plus
en plus d’événements violents, des inondations catastrophiques tuent, alors
qu’ailleurs dans le monde la sécheresse sévit et l’eau se raréfie.
Ces extrêmes qui se succèdent nous masquent la tendance longue :
l’assèchement des sols lié à l’activité humaine et à la modification des
écosystèmes locaux.
Car, derrière l’assèchement des sols, il n’y
a pas que l’élévation des températures analysée par le GIEC,
il y a aussi l’action directe de l’humanité, avec la déforestation,
l’irrigation pour l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols par
l’urbanisation.
L’humanité, qui s’est rendue maîtresse de la
nature, croit pouvoir en disposer sans que cela n’aie de conséquences. Mais la
réalité est toute autre : l’humanité, par son action, est en train de
détruire la planète.
Les trois grandes
perturbations du cycle de l’eau
Une première cause d’assèchement des sols est la
déforestation.
Pour
vendre le bois exotique, la forêt tropicale est coupée. Les espaces libérés
servent à nourrir le bétail, ou sont cultivés en soja ou en maïs, à moins qu’ils
ne soient utilisés pour produire des agrocarburants. Ailleurs la forêt est
détruite pour réaliser des infrastructures de transport, ou pour ouvrir des
mines ou des champs de pétrole. Ailleurs encore, c’est la course à l’or qui
détruit la forêt.
Chaque année, 127.000 km2 de forêts sont
détruites, surtout des forêts tropicales (Amazonie, Asie du sud-est, Afrique
centrale).
Probablement une bonne partie de ceux qui
coupent les forêts n’ont pas conscience de détruire la planète, et croient que
cela n’a pas beaucoup de conséquences, que le sol servira aussi bien à un autre
usage. Pourtant la forêt a un rôle irremplaçable. Quoi, mieux qu’elle,
maintient l’humidité de l’atmosphère, par l’évapo-transpiration des
feuilles ? Quoi, mieux qu’elle, rafraîchit naturellement l’air, sachant
qu’un grand arbre, c’est un appareil à air conditionné de 50 kw dont la source
chaude est … dans les nuages ?
Et la forêt a de multiples autres
bénéfices : elle évite le ravinement des sols, elle stocke le gaz
carbonique qu’elle respire, tant dans les arbres eux-mêmes que dans le sol, où
s’accumulent ses parties mortes. Ses racines, plongeant profondément dans le
sol, y conduisent l’eau de pluie qui alimente les nappes phréatiques.
Les sols tropicaux sont peu profonds, les
pluies y sont parfois violentes. Après quelques décennies, parfois moins, la
prairie ou le champ qui avait remplacé la forêt laissera place à un espace
raviné dont le fertilité aura disparu : la semi-désertification aura
succédé à la forêt.
On estime qu’au cours de l’histoire, 50
millions de km2 de forêts (soit un tiers des terres émergées, plus que la
surface de toute l’Asie) ont disparu au profit de l’agriculture, de l’élevage
et de l’urbanisation.Ce processus a modifié progressivement le climat de la
planète.
Actuellement il s’accélère, tant au niveau de
la déforestation que de l’urbanisation : des zones jusqu’ici préservées
sont touchées, en particulier les forêts tropicales : Amazonie, Afrique
centrale, Asie du sud-est, et il se produit en une trentaine d’années le
processus qui s’est produit en plusieurs millénaires (depuis l’invention de
l’agriculture) en Europe et au Moyen-Orient. Les conséquences commencent à apparaître.
Au Brésil, avant de concerner l’Amazonie, la
déforestation avait touché toute la forêt « pluviale » tropicale qui
bordait l’océan Atlantique. Les régions prospères du Brésil, les grandes villes
(São Paulo...) s’y sont installées. Mais le Brésil a continué de profiter d’un
climat humide, grâce à l’énorme forêt amazonienne. Le bassin amazonien émet
plus de 20.000 milliards de m3 de vapeur d’eau par jour qui forment
des « fleuves aériens de vapeur ».
La cordillère des Andes les renvoie vers le sud et toute l’Amérique latine en
bénéficie.
Mais aujourd’hui, la déforestation remet tout en cause : elle avait déjà
touché 90 % de la forêt tropicale atlantique, elle représente maintenant
18 % de l’Amazonie, auxquels il faut ajouter 29 % de zones
forestières dégradées .
Les premières conséquences apparaissent. São
Paulo et sa région ont connu une sécheresse exceptionnelle ; au début
2015, les nombreux réservoirs se sont retrouvés à sec, et tout l’activité, les
conditions de vie de la population, se sont trouvés affectés.
L’activité du Brésil s’était basée sur son régime de pluies abondantes,
celui-ci étant apporté par la forêt.
L’agro-industrie consommait 70 % de l’eau : si cette eau s’amenuise
avec la disparition de la forêt, que deviendra le Brésil ? Les mesures
annoncées (lutter contre la déforestation illégale, reforester certaines zones)
ne font en effet que la limiter sans y mettre fin.
En Afrique, les conséquences de la
déforestation sont les mêmes : le cycle de l’eau est perturbé. Au Kenya,
dans la région des grands lacs, la forêt Mau a vu un quart de sa surface, soit 100.000 hectares
être déforesté en une décennie. Trente ans de déforestation ont eu des
conséquences dramatiques : baisse des
précipitations, diminution des écoulements causant un manque d’eau au niveau
des lacs, des villes et des rivières. Cette zone alimentait 12 rivières et 6
grands lacs, dont le lac Victoria. Le nouveau barrage Sondu-Miriu, construit
sur la rivière du même nom, n’a jamais pu produire les 60 MW
escomptés, suite au manque de pluies ou aux inondations.
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Photos et images
infrarouges : Jan Pokorný et al ENKI, Czech
Republic
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L’Institut Technique de Prague a fait une
étude comparative sur la forêt Mau subsistante et sur les zones déforestées,
avec des thermographies donnant la température de surface du sol ou des arbres.
Les résultats sont clairs : une vingtaine de degrés dans les forêts
d’acacias subsistantes, avec un sol frais et humide, mais de 60 à 70° sur le
sol nu sans arbre, cuit par le soleil.
Pourtant, les scientifiques et les
conférences climatiques n’envisagent le rôle de la forêt qu’en tant que
capacité de stockage de carbone, abstraite, détachée de son support, qu’on
pourrait échanger contre une autre diminution des gaz à effet de serre. C’est ne
pas prendre en compte la transformation du climat local qu’entraîne la perte de
la forêt, la baisse de la pluviométrie liée à la perte de quantités
gigantesques de vapeur d’eau que produisait la forêt. C’est ne pas prendre en
compte l’élévation directe de la température du sol liée à la disparition de la
forêt, et à la perte du rafraîchissement qu’apportent naturellement les arbres.
Une deuxième cause d’assèchement
des sols est l’agriculture intensive irriguée et non-irriguée.
Depuis
4 ans la Californie est victime d’une terrible sécheresse. 80 % de l’eau
consommée y est destinée à l’agriculture intensive, la production agricole et
de fruits et légumes de Californie alimente largement les États-Unis ou est
exportée. L’irrigation est subventionnée, sans soucis pour le renouvellement de
la ressource, à tel point que dans la vallée centrale de Californie le niveau
du sol s’affaisse de 30 cm
par an du fait des puisages et que les agriculteurs les plus aisés forent de
plus en plus profond, car le niveau des nappes phréatiques descend
régulièrement. Les quatre dernières années, la sécheresse a fait des ravages et
causé de nombreux incendies de forêt.
Le sur-pompage dans les nappes existe aussi
dans les sud de l’Espagne, avec moins de conséquences pour le moment, et au
Moyen-Orient. Au Maghreb, il concerne des nappes fossiles, qui se sont
constituées il y a des centaines de milliers d’années à une époque où le climat
y était plus clément. Entre 1960 et 2000, le prélèvement dans les nappes
phréatiques a augmenté de 50 %, comme si celles-ci étaient à notre
disposition sans conséquences et comme si l’humanité pouvait en disposer à sa
guise.
C’est en fait toute l’agriculture productiviste
qui pose problème : l’usage des pesticides tue la vie biologique des sols
et les lombrics qui l’aèrent. La couche supérieure d’un sol naturel comporte
50 % d’air. A l’opposé, la surface d’un sol tué par l’agriculture
productiviste forme une croûte, dure, qui laisse peu passer l’eau et la fait
ruisseler à sa surface : le ruissellement est un des problèmes de
l’agriculture actuelle, qu’elle résout de diverses manières (couvert végétal
permanent, plantation de haies, fascines, culture sans labour, bandes enherbées
entre les cultures...) sans que soit apportée la seule vraie réponse :
l’abandon des pesticides et la restauration des sols naturels, avec
l’agriculture paysanne non-productiviste qui envisage la pleine prise en compte
du cycle de l’eau (ceci suivant plusieurs méthodes : agriculture
biologique, agriculture durable, permaculture, agroforesterie...)
Un troisième processus conduit à
l’assèchement des sols : l’urbanisation
Chaque
année, 55.000 km2 sont gagnés par les villes et imperméabilisés. L’eau perdue
par les sols du fait de la croissance urbaine pourrait représenter 760
milliards de m3 par an (soit 2,1 mm de hausse du niveau de la mer)
Notre pays n’est pas à l’abri d’un
assèchement des sols. Différents scénarios de réchauffement climatique ont été
étudiés par le BRGM. Leur
conclusion est claire : dans les divers scénarios, on va vers un
assèchement des sols. Le scénario moyen pour 2070 donne une seule zone (autour
de l’embouchure du Rhône) où la recharge des nappes serait meilleure
qu’actuellement,et quelques petites zones où un petit gain serait constaté.
Partout ailleurs, la situation se dégraderait, en particulier sur des bassins
de l’Hérault et l’Aude, où le déficit par rapport à la situation actuelle
pourrait atteindre 50 %.
Notre mode de développement, avec la
déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation avec ses surfaces
imperméables d’asphalte ou de béton, entraîne une perturbation du cycle de
l’eau et agit directement sur notre climat.
Un sol drainé (sol imperméable des villes, la
plupart des champs) transforme la majorité du rayonnement solaire en chaleur
sensible.
En ville, c’est ce qui amène les « îlots
de chaleur urbains », zones où la température est de quelques degrés plus
élevée que dans la campagne (environ 4° l’été pour une grande ville, voire plus
pour une mégapole).
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Extrait de
l’exposition « eau et climat » coordination eau Île de France
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Par contre une forêt, et dans une moindre
mesure une toiture végétalisée, ou une prairie humide va transformer ce
rayonnement solaire en partie, voire pour une forêt en grosse partie en
rafraîchissement par le biais de l’évapo-transpiration des feuilles.
C’est cette action des arbres qui est
utilisée en ville dans les « îlots de fraîcheur » pour contrer l’îlot
de chaleur urbain par des zones arborées. Les toitures végétalisées peuvent
aussi y contribuer, de même que les plantes grimpantes en façade, qui,
combinées avec une aspersion de fines gouttelettes d’eau dans les gaines de
ventilation constituent une alternative efficace et très économique à l’air
conditionné.
Un assèchement
réversible : on peut rendre l’eau à la terre
Dans
son ouvrage plein d’enseignements précieux « Tout peut changer »,
Naomi Klein évoque une perspective pour nos sociétés : mettre fin à l’ère
des énergies fossiles et régénérer la planète.
Cette régénération est exactement ce qui
permet l’action pour restaurer le cycle de l’eau, à une échelle de temps
relativement brève, allant de quelques années à dix ou vingt ans.
La forêt :
La belle
nouvelle « l’homme qui plantait des arbres » de Jean Giono, éditée
dans plus de vingt langues, nous montre, au début du XX°
siècle, une Haute-Provence dévastée par le disparition des forêts : étendues
désolées, ravinées et battues par le vent, sources taries, présence humaine
réduite à quelques communautés misérables. Le reboisement, décrit d’une manière
imagée, mais qui s’est déroulé réellement, sous la conduite des Eaux et Forêts,
a ramené de la fraîcheur l’été, les sources ont coulé à nouveau, l’agriculture
a été possible et s’est développée, la vie est revenue.
Ce conte métaphorique de Giono recouvre une réalité universelle : la
renaissance des forêts, en particulier quand elle s’est faite en respectant la
diversité végétale, amène de profonds changements : la désertification
recule, l’eau revient, la vie redevient possible. Ceci est confirmé tant par le
mouvement « ceinture verte » au Kenya que par l’exemple de
l’Instituto Terra au Brésil, dans la vallée du rio Doce, qui, en plantant 1
million 700.000 arbres a, en douze ans, fait couler à nouveau des sources, et
modifié radicalement la vie des habitants en restaurant le cycle de
l’eau : un éleveur, par exemple, témoigne du doublement de sa production
de lait par vache, l’herbe étant revenue avec la forêt.
Restaurer la forêt, c’est faire renaître une
forêt où les équilibres écologiques sont respectés, en particulier avec sa
diversité végétale, garante du développement en son sein d’une vie pérenne.
Ceci est évidemment à l’opposé des plantations d’arbres d’espèces uniques, à
croissance rapide (eucalyptus, pins...) où on fera des coupes à blanc, laissant
le sol nu et propice au ravinement pendant les longues années de repousse qui
suivront. Cela ne veut pas dire que la forêt ne doit pas être utilisée par
l’homme. Mais pendant des millénaires il avait su le faire sans nuire à la
forêt. Si des coupes doivent être faites, c’est d’arbres sélectionnés, en
quantité limitée, de manière à préserver le système vivant qu’est la forêt. Et
l’agro-foresterie est un exemple de la combinaison entre agriculture et forêt,
qui est bénéfique aux deux. Retrouver les symbioses du vivant, faire partout
renaître la nature dans sa diversité et son exubérance est un horizon qui
s’ouvre à nous avec la fin des énergies fossiles.
Dans un lointain passé, deux tiers des terres
émergées étaient couvertes de forêts. Aujourd’hui des millions de km2 sont
devenus désertiques, arides, ravinés, où portent des sols morts, dont la vie a
été extirpée par notre civilisation productiviste.
De nombreux exemples montrent qu’en un temps
assez bref, dépassant peu la dizaines d’années le retour de la forêt peut à la
fois faire revenir le milieu naturel dans son ensemble (avec des sols
restaurés, un régime hydrologique restitué et régularisé) et modifier le
microclimat : les cas de la reforestation en France fin XIX°
siècle, début XX°, la renaissance en 12 ans de la forêt
au Brésil sur le rio Doce ou le mouvement de la ceinture verte au Kenya ne sont que quelques exemples prouvant qu’une
réussite est possible, et qu’elle modifie grandement le paysage, le climat
local et surtout la vie des habitants.
Notre perspective, c’est pour demain une belle planète, régénérée, où la vie
foisonnera de partout, adaptée aux divers milieux naturels. Cela est possible
en restaurant le cycle de l’eau, l’arbre étant le pivot essentiel de cette
réussite.
La campagne :
Pendant
des décennies l’agriculture productiviste a fait partout dans le monde des
dégâts considérables : les milieux naturels ont été saccagés, les
équilibres écologiques détruits, le cycle de l’eau gravement atteint, et
surtout les sols ont été progressivement vidés de leur vie organique, rendant
les terres stériles. Elles nécessitent alors toujours plus d’intrants chimiques
pour produire... ce qui les détruit toujours plus.
Que ce soit le remembrement et la destruction des haies en France ou en Europe,
les kolkhozes ou des fermes coopératives géantes d’Europe de l’Est à l’époque
socialiste, la révolution verte dans les pays du « tiers-monde » de
l’époque, un seul modèle a prédominé : les engrais chimiques, les pesticides,
les fongicides, les semences hybrides puis les OGM le
tout accompagné d’une irrigation ne se souciant pas de la reconstitution des
nappes.
Ils ont été perçus (et vendus) comme pouvant
nous délivrer des aléas de la nature, comme des outils pour la dominer et nous
soumettre ses mécanismes. Le résultat de cette prétention orgueilleuse de
l’humanité est tragique : sols « morts », sols encroûtés où
l’eau ruisselle au lieu d’alimenter les nappes, terres asséchées : des
petits pas vers la désertification – la planète Mars serait-elle notre
modèle ? L’autre version de cette réalité d’un cycle de l’eau bouleversé
est les inondations catastrophiques qui deviennent de plus en plus fréquentes,
pas seulement à cause du réchauffement climatique, mais aussi à cause du
ruissellement favorisé, de l’imperméabilisation des sols par l’urbanisation.
L’alternative c’est de rompre enfin avec le
productivisme, sortir d’une agriculture où ceux qui la gèrent ont pour objectif
le revenu financier bien plus que de nourrir la population.
Le retour à une agriculture en symbiose avec le milieu naturel, qui ne cherche
plus à dominer la Nature mais à coopérer avec elle, qui respecte ses équilibres
et ses cycles – dont avant tout le cycle de l’eau – est désormais à l’ordre du
jour : l’agriculture paysanne, utilisant un minimum ou pas d’intrants
chimiques préserve le milieu naturel tout en utilisant ses fonctionnalités,
elle améliore la fertilité des sols, y séquestre durablement du carbone dans
l’humus et elle veille à préserver la ressource en eau.
Les exemples de transformation radicale du
milieu naturel par la restauration du cycle de l’eau en lien avec une
agriculture respectueuse de l’environnement sont nombreux : au Rajasthan,
le district d’Alwar, naguère semi-désertique, est aujourd’hui fertile et prospère,
des rivières qui ne coulaient plus depuis quarante ans coulent à nouveau.
L’agriculture désormais préserve et améliore
les sols à nouveau, avec le développement de l’agriculture biologique : le
levier de cette métamorphose n’a été que redonner l’eau de pluie à la terre,
l’y faire s’infiltrer naturellement, en creusant à nouveau les
« johads », petites réserves d’eau ou creux dans le sol.
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Photo :
http://en.howtopedia.org/wiki/How_to_Start_Culture_in_Zai_Holes
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En région semi-désertique, en Afrique, des
exemples prouvant qu’il est possible de redonner l’eau à la terre, et après
quelques années d’obtenir l’arrivée de végétation sur un sol nu à l’origine et
de pouvoir le cultiver existent comme au Burkina-Faso, avec le zaï pour
infiltrer l’eau ou avec des cordons de terre pour
la retenir et éviter le ruissellement.
En climat tempéré, même sur une zone aride,
les résultats peuvent être spectaculaires. Au Portugal, l’éco-village de Tamera,
dans un environnement asséché, contraste par sa verdure avec les
alentours : lacs et espaces multiples de rétention d’eau favorisent
l’infiltration de la pluie dans le sol, cultivé suivant les méthodes de la
permaculture.
Partout, le constat est le même : quand l’eau a été rendue à la terre, la
végétation revient, l’humidité aussi – en rapport évidemment avec le zone
climatique – et la nature est restaurée, parfois plus belle qu’elle ne l’était
bien auparavant, avant les nuisances dues à notre civilisation.
Les villes:
Les villes sont impactées de deux manières par le
changement climatique : la chaleur étouffante l’été, et les destructions
liées aux inondations catastrophiques.
Dans les deux cas, la croissance urbaine et l’imperméabilisation des sols sont
en cause : la croissance urbaine augmente l’effet d’îlot de chaleur urbaine (lié au
rayonnement solaire sur les surfaces imperméables : béton, toitures,
asphalte) et à la faible évaporation liée aux faibles surfaces de terre
naturelle et au peu d’arbres donc au manque de rafraîchissement apporté par la
végétation.

Les sols imperméabilisés accroissent le
ruissellement en cas d’orage ou de forte pluie. Au delà d’une certaine
quantité, les réseaux sont saturés et débordent. Les rivières, souvent
canalisées et enserrées dans des digues, ne peuvent s’épandre (en ville ou en
amont) et débordent : le phénomène
est récurrent, il s’est produit encore fin août 2015 à Montpellier, puis avec
de nombreuses victimes, et début octobre dans les Alpes Maritimes.
Comme partout, la solution
est de « rendre l’eau à la Terre », en la faisant s’infiltrer là où
elle tombe, en dés-imperméabilisant les sols, en libérant les rivières, en
ville ou sur leur parcours.
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Illustrations: « Une nouvelle gestion des
rivières arrive à l’heure de la Gemapi » agence de l’eau RMC
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Ainsi on peut limiter le
ruissellement (en évitant les coûteux ouvrages de stockage des eaux d’orage) et
alimenter les nappes phréatiques, au lieu de rejeter l’eau dans les réseaux
d’assainissement puis finalement à la mer.
L’augmentation du niveau de
la mer liée à la croissance urbaine (évaluée à 2,1 mm par an) n’est pas à
négliger... or les experts du climat ne la comptabilisent pas : il faut
dire que cela remettrait en cause notre développement actuel.
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Grenoble : écoquartier de Bonne avec 100 % d’infiltration |
Les exemples ici sont
multiples, et les bonnes politiques commencent, par endroits à être appliquées.
De plus en plus de villes prescrivent l’infiltration des eaux de pluie dans
leur plan local d’urbanisme, au moins partiellement. Des zones construites sont
réalisées avec 100 % d’infiltration des eaux de pluie. Des voiries de
même. Ou les villes poussent à recourir aux toitures végétalisées, et exigent
des plantations en pleine terre.
Depuis une vingtaine d’années
le cours du Rhône a été renaturé, une nouvelle gestion des rivières se fait
jour, avec des méandres, des bras morts ou des zones humides restaurés, un
parking de plusieurs niveaux en bord de Rhône à Lyon a été détruit pour
reconstituer des berges naturelles. Ailleurs, ce sont des rivières jadis
recouvertes qui sont restaurées, avec des berges naturelles et arborées.
La prévention des inondations
peut aussi prendre d’autres formes, l’expérience du programme mené en Slovaquie
en 2010-11 prouve l’efficacité de
milliers de petits ouvrages de retenue, réalisés avec des matériaux locaux et à
faible coût, dans des talwegs d’écoulement intermittent d’eau d’orage ou sur
des cours de ruisseau.
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Photo Michal Kravčík
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Avec 70 petits barrages sur 2 km de talweg, sur une zone
inondée en 2010 lors des crues sur le bassin du Danube, tout problème a été
évité lors des inondations de 2013. La photo montre l’état lors de la
réalisation ; aujourd’hui, le même lieu, que j’ai pu visiter en septembre
dernier est totalement encombré de végétation et d’orties, l’infiltration des
pluies ayant rendu ce vallon humide.
Ces réalisations, avec d’autres, seront
visibles dans le film de Valérie Valette « Les fleurs du futur, Dobra Voda »
consacré à la restauration du cycle de l’eau et au climat, qui doit sortir fin
novembre 2015.
Mais au delà de ces solutions prometteuses,
le problème principal reste : partout les villes prévoient
d’imperméabiliser des surfaces nouvelles, avec de nouveaux projets de zones
commerciales, d’activités ou d’habitations, souvent en détruisant des terrains
agricoles ; les projets de la métropole du Grand Paris sont
particulièrement significatifs à ce sujet, comme l’est le projet d’aéroport de
Notre Dames des Landes, avec un maître-mot : la sacro-sainte
compétitivité.
Au niveau global:
Le
GIEC s’est saisi de l’enjeu du changement climatique
global, lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il ne
parvient pas à nous engager vers un monde d’où disparaissent les énergies
fossiles, c’est pourtant la voie de l’avenir.
Par contre il ignore le changement climatique
lié au cycle de l’eau, celui qui s’effectue à l’échelle locale et est tout
autant que le changement global, lié à l’action destructrice de notre
civilisation.
La restauration du cycle de l’eau pourtant,
peut changer la face de notre planète.
En partant du local, la mise en place d’un « plan d’action global pour la
restauration des cycles naturels de l’eau et du climat » est à l’ordre du
jour. Il a fait l’objet d’une proposition élaborée par l’hydrologue slovaque
Michal Kravčík et la journaliste et éditrice de "The Green Valley
Journal" (USA) Jan Lambert.
Il doit être pris en charge par les instances
internationales, comme le fait le GIEC pour le
changement climatique global.
Nous avons ici une nouvelle tâche :
travailler ensemble à la constitution d’un nouveau collectif international
d’experts scientifiques, de citoyens et de représentants politiques pour rendre
l’eau à la terre à l’échelle de la planète, et par là, nous donner les moyens
de régénérer celle-ci.
C’est toute l’eau dont les sols ont été
privés par le ruissellement et qui a été extraite des nappes par le puisage
excessif qu’il s’agit de redonner à la terre, si nous voulons restaurer
celle-ci. Ceci pourrait représenter 760 milliards de m3 d’eau de
pluie par an.
Cette tâche en apparence gigantesque n’est
l’est pas en réalité, puisqu’elle peut et doit reposer sur la réalisation de
centaines de millions de petites rétentions, stockages, lieux d’infiltration et
être accomplie partout dans le monde : pas de grands ouvrages ni de gros
investissements, mais du travail partout pour des millions de personnes
sans-emploi.
Le résultat en sera des sols à nouveaux
humides, une végétation vivifiée, des terres reconquises sur le désert, des
forêts replantées au lieu d’être supprimées, un climat apaisé.
Une nouvelle étape pourra ensuite
s’ouvrir pour l’humanité : comment sera-t-elle appelée ?
L’après-anthropocène, ou une deuxième phase
de celui-ci, à l’opposé de la première, si destructrice ? Car elle
marquera une nouvelle union entre l’activité humaine et celle de la nature,
celle d’une Terre-Mère restaurée avec ses sols vivants, son eau et son
atmosphère sains à nouveau : pour le millénaire qui s’ouvre, un nouveau
paradigme pour une humanité qui ne domine plus la Nature mais s’allie à elle,
et qui ne soit plus prédatrice des énergies fossiles enfouies dans son sol.