jeudi 10 décembre 2015

Eau et climat, place aux alternatives




Le changement climatique a des conséquences directes sur le cycle l'eau (inondations, sécheresses...) or ce cycle de l'eau perturbé modifie à son tour le climat. En le restaurant on devrait donc pouvoir agir contre le réchauffement de notre planète.. un article de  Daniel Hofnung, membre du CA d'Attac France, co-président de la Coordination Eau~Île-de-France





Pour un plan global de restauration des cycles naturels de l’eau et du climat


Le processus issu de la conférence de Kyoto se préoccupe de l’effet des gaz à effet de serre sur le climat, et pose la légitime question de leur diminution dans l’atmosphère, donc la nécessité de rompre avec les énergies fossiles.

Un autre processus est ignoré : celui de l’influence du cycle de l’eau, avec d’un côté sa perturbation qui dégrade le climat, de l’autre sa restauration pour le recouvrer. Il nous ouvre pourtant des perspectives d’action pour régénérer la planète.
 
La communauté internationale, après le sommet de Rio de 1992 a pris en charge la lutte contre ce qui apparaissait comme un lent et inexorable processus de réchauffement climatique. La Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques s’est mise en place, avec le protocole de Kyoto de 1997 et les Conférences des Parties (COP) annuelles. Le lien a été fait entre le réchauffement et l’augmentation des gaz à effet de serre. Sa confirmation par des données scientifiques a été faite sur des analyses de l’évolution du climat à travers des périodes longues : l’évolution de la composition de l’atmosphère et l’élévation des températures sont très lentes toutes deux.
 
La question du cycle de l’eau, de l’interaction entre l’eau et les sols ont ainsi été analysés essentiellement comme des conséquences du réchauffement climatique.
 
Le processus de réchauffement climatique lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère est lent, il comporte des effets différés et cumulatifs. Le CO2 émis, par exemple, se stocke dans l’océan bien plus que dans l’atmosphère, ainsi que dans les sols, celui émis hier s’ajoute à celui émis aujourd’hui, et leurs effets s’additionnent. Il est d’emblée mondial, puisque l’air n’a pas de frontières. Il n’est réversible que sur le long terme, puisqu’il s’agit non seulement limiter ou arrêter les émissions, mais en plus ramener le taux de gaz à effet de serre à un niveau plus bas qu’actuellement.
Cette focalisation sur le rôle de l’atmosphère a fait négliger l’analyse du rôle de l’évolution d’autres milieux, où les actions se déroulent sur un temps plus court.
 
Un autre processus de réchauffement climatique, lié au cycle de l’eau, agit directement et rapidement : une forêt coupée, c’est immédiatement de la vapeur d’eau en moins. Des nappes asséchées, c’est immédiatement des sources qui ne coulent plus. Des sols imperméabilisés, c’est rapidement de l’air plus chaud l’été. Mais ici, si on corrige la cause, des effets à court terme se font sentir : les interventions portant sur le réchauffement climatique liés au cycle de l’eau ou à la biosphère donnent des résultats relativement rapides, qui se chiffrent en années ou au plus en décennie.
 
La crise climatique nous confronte à de plus en plus d’événements violents, des inondations catastrophiques tuent, alors qu’ailleurs dans le monde la sécheresse sévit et l’eau se raréfie.
 

Ces extrêmes qui se succèdent nous masquent la tendance longue : l’assèchement des sols lié à l’activité humaine et à la modification des écosystèmes locaux.
Car, derrière l’assèchement des sols, il n’y a pas que l’élévation des températures analysée par le GIEC, il y a aussi l’action directe de l’humanité, avec la déforestation, l’irrigation pour l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols par l’urbanisation.
 

L’humanité, qui s’est rendue maîtresse de la nature, croit pouvoir en disposer sans que cela n’aie de conséquences. Mais la réalité est toute autre : l’humanité, par son action, est en train de détruire la planète.





Les trois grandes perturbations du cycle de l’eau


Une première cause d’assèchement des sols est la déforestation.


Pour vendre le bois exotique, la forêt tropicale est coupée. Les espaces libérés servent à nourrir le bétail, ou sont cultivés en soja ou en maïs, à moins qu’ils ne soient utilisés pour produire des agrocarburants. Ailleurs la forêt est détruite pour réaliser des infrastructures de transport, ou pour ouvrir des mines ou des champs de pétrole. Ailleurs encore, c’est la course à l’or qui détruit la forêt.

Chaque année, 127.000 km2 de forêts sont détruites, surtout des forêts tropicales (Amazonie, Asie du sud-est, Afrique centrale).

Probablement une bonne partie de ceux qui coupent les forêts n’ont pas conscience de détruire la planète, et croient que cela n’a pas beaucoup de conséquences, que le sol servira aussi bien à un autre usage. Pourtant la forêt a un rôle irremplaçable. Quoi, mieux qu’elle, maintient l’humidité de l’atmosphère, par l’évapo-transpiration des feuilles ? Quoi, mieux qu’elle, rafraîchit naturellement l’air, sachant qu’un grand arbre, c’est un appareil à air conditionné de 50 kw dont la source chaude est … dans les nuages ?

Et la forêt a de multiples autres bénéfices : elle évite le ravinement des sols, elle stocke le gaz carbonique qu’elle respire, tant dans les arbres eux-mêmes que dans le sol, où s’accumulent ses parties mortes. Ses racines, plongeant profondément dans le sol, y conduisent l’eau de pluie qui alimente les nappes phréatiques.

Les sols tropicaux sont peu profonds, les pluies y sont parfois violentes. Après quelques décennies, parfois moins, la prairie ou le champ qui avait remplacé la forêt laissera place à un espace raviné dont le fertilité aura disparu : la semi-désertification aura succédé à la forêt.

On estime qu’au cours de l’histoire, 50 millions de km2 de forêts (soit un tiers des terres émergées, plus que la surface de toute l’Asie) ont disparu au profit de l’agriculture, de l’élevage et de l’urbanisation.Ce processus a modifié progressivement le climat de la planète.

Actuellement il s’accélère, tant au niveau de la déforestation que de l’urbanisation : des zones jusqu’ici préservées sont touchées, en particulier les forêts tropicales : Amazonie, Afrique centrale, Asie du sud-est, et il se produit en une trentaine d’années le processus qui s’est produit en plusieurs millénaires (depuis l’invention de l’agriculture) en Europe et au Moyen-Orient. Les conséquences commencent à apparaître.

Au Brésil, avant de concerner l’Amazonie, la déforestation avait touché toute la forêt « pluviale » tropicale qui bordait l’océan Atlantique. Les régions prospères du Brésil, les grandes villes (São Paulo...) s’y sont installées. Mais le Brésil a continué de profiter d’un climat humide, grâce à l’énorme forêt amazonienne. Le bassin amazonien émet plus de 20.000 milliards de m3 de vapeur d’eau par jour qui forment des « fleuves aériens de vapeur ». 

La cordillère des Andes les renvoie vers le sud et toute l’Amérique latine en bénéficie.
Mais aujourd’hui, la déforestation remet tout en cause : elle avait déjà touché 90 % de la forêt tropicale atlantique, elle représente maintenant 18 % de l’Amazonie, auxquels il faut ajouter 29 % de zones forestières dégradées . 


Les premières conséquences apparaissent. São Paulo et sa région ont connu une sécheresse exceptionnelle ; au début 2015, les nombreux réservoirs se sont retrouvés à sec, et tout l’activité, les conditions de vie de la population, se sont trouvés affectés.
L’activité du Brésil s’était basée sur son régime de pluies abondantes, celui-ci étant apporté par la forêt.
 

L’agro-industrie consommait 70 % de l’eau : si cette eau s’amenuise avec la disparition de la forêt, que deviendra le Brésil ? Les mesures annoncées (lutter contre la déforestation illégale, reforester certaines zones) ne font en effet que la limiter sans y mettre fin.

En Afrique, les conséquences de la déforestation sont les mêmes : le cycle de l’eau est perturbé. Au Kenya, dans la région des grands lacs, la forêt Mau a vu un quart de sa surface, soit 100.000 hectares être déforesté en une décennie. Trente ans de déforestation ont eu des conséquences dramatiques : baisse des précipitations, diminution des écoulements causant un manque d’eau au niveau des lacs, des villes et des rivières. Cette zone alimentait 12 rivières et 6 grands lacs, dont le lac Victoria. Le nouveau barrage Sondu-Miriu, construit sur la rivière du même nom, n’a jamais pu produire les 60 MW escomptés, suite au manque de pluies ou aux inondations.



Photos et images infrarouges : Jan Pokorný et al ENKI, Czech Republic

L’Institut Technique de Prague a fait une étude comparative sur la forêt Mau subsistante et sur les zones déforestées, avec des thermographies donnant la température de surface du sol ou des arbres. Les résultats sont clairs : une vingtaine de degrés dans les forêts d’acacias subsistantes, avec un sol frais et humide, mais de 60 à 70° sur le sol nu sans arbre, cuit par le soleil.

Pourtant, les scientifiques et les conférences climatiques n’envisagent le rôle de la forêt qu’en tant que capacité de stockage de carbone, abstraite, détachée de son support, qu’on pourrait échanger contre une autre diminution des gaz à effet de serre. C’est ne pas prendre en compte la transformation du climat local qu’entraîne la perte de la forêt, la baisse de la pluviométrie liée à la perte de quantités gigantesques de vapeur d’eau que produisait la forêt. C’est ne pas prendre en compte l’élévation directe de la température du sol liée à la disparition de la forêt, et à la perte du rafraîchissement qu’apportent naturellement les arbres.

 

 

 

Une deuxième cause d’assèchement des sols est l’agriculture intensive irriguée et non-irriguée.

 

Depuis 4 ans la Californie est victime d’une terrible sécheresse. 80 % de l’eau consommée y est destinée à l’agriculture intensive, la production agricole et de fruits et légumes de Californie alimente largement les États-Unis ou est exportée. L’irrigation est subventionnée, sans soucis pour le renouvellement de la ressource, à tel point que dans la vallée centrale de Californie le niveau du sol s’affaisse de 30 cm par an du fait des puisages et que les agriculteurs les plus aisés forent de plus en plus profond, car le niveau des nappes phréatiques descend régulièrement. Les quatre dernières années, la sécheresse a fait des ravages et causé de nombreux incendies de forêt.


Le sur-pompage dans les nappes existe aussi dans les sud de l’Espagne, avec moins de conséquences pour le moment, et au Moyen-Orient. Au Maghreb, il concerne des nappes fossiles, qui se sont constituées il y a des centaines de milliers d’années à une époque où le climat y était plus clément. Entre 1960 et 2000, le prélèvement dans les nappes phréatiques a augmenté de 50 %, comme si celles-ci étaient à notre disposition sans conséquences et comme si l’humanité pouvait en disposer à sa guise.

C’est en fait toute l’agriculture productiviste qui pose problème : l’usage des pesticides tue la vie biologique des sols et les lombrics qui l’aèrent. La couche supérieure d’un sol naturel comporte 50 % d’air. A l’opposé, la surface d’un sol tué par l’agriculture productiviste forme une croûte, dure, qui laisse peu passer l’eau et la fait ruisseler à sa surface : le ruissellement est un des problèmes de l’agriculture actuelle, qu’elle résout de diverses manières (couvert végétal permanent, plantation de haies, fascines, culture sans labour, bandes enherbées entre les cultures...) sans que soit apportée la seule vraie réponse : l’abandon des pesticides et la restauration des sols naturels, avec l’agriculture paysanne non-productiviste qui envisage la pleine prise en compte du cycle de l’eau (ceci suivant plusieurs méthodes : agriculture biologique, agriculture durable, permaculture, agroforesterie...)




Un troisième processus conduit à l’assèchement des sols : l’urbanisation

 

Chaque année, 55.000 km2 sont gagnés par les villes et imperméabilisés. L’eau perdue par les sols du fait de la croissance urbaine pourrait représenter 760 milliards de m3 par an (soit 2,1 mm de hausse du niveau de la mer)

Notre pays n’est pas à l’abri d’un assèchement des sols. Différents scénarios de réchauffement climatique ont été étudiés par le BRGM. Leur conclusion est claire : dans les divers scénarios, on va vers un assèchement des sols. Le scénario moyen pour 2070 donne une seule zone (autour de l’embouchure du Rhône) où la recharge des nappes serait meilleure qu’actuellement,et quelques petites zones où un petit gain serait constaté. Partout ailleurs, la situation se dégraderait, en particulier sur des bassins de l’Hérault et l’Aude, où le déficit par rapport à la situation actuelle pourrait atteindre 50 %.




Notre mode de développement, avec la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation avec ses surfaces imperméables d’asphalte ou de béton, entraîne une perturbation du cycle de l’eau et agit directement sur notre climat.

Un sol drainé (sol imperméable des villes, la plupart des champs) transforme la majorité du rayonnement solaire en chaleur sensible.

En ville, c’est ce qui amène les « îlots de chaleur urbains », zones où la température est de quelques degrés plus élevée que dans la campagne (environ 4° l’été pour une grande ville, voire plus pour une mégapole).


Extrait de l’exposition « eau et climat » coordination eau Île de France


Par contre une forêt, et dans une moindre mesure une toiture végétalisée, ou une prairie humide va transformer ce rayonnement solaire en partie, voire pour une forêt en grosse partie en rafraîchissement par le biais de l’évapo-transpiration des feuilles.

C’est cette action des arbres qui est utilisée en ville dans les « îlots de fraîcheur » pour contrer l’îlot de chaleur urbain par des zones arborées. Les toitures végétalisées peuvent aussi y contribuer, de même que les plantes grimpantes en façade, qui, combinées avec une aspersion de fines gouttelettes d’eau dans les gaines de ventilation constituent une alternative efficace et très économique à l’air conditionné.

 

 

Un assèchement réversible : on peut rendre l’eau à la terre

 

Dans son ouvrage plein d’enseignements précieux « Tout peut changer », Naomi Klein évoque une perspective pour nos sociétés : mettre fin à l’ère des énergies fossiles et régénérer la planète.


Cette régénération est exactement ce qui permet l’action pour restaurer le cycle de l’eau, à une échelle de temps relativement brève, allant de quelques années à dix ou vingt ans.

 

 

La forêt :

 

La belle nouvelle « l’homme qui plantait des arbres » de Jean Giono, éditée dans plus de vingt langues, nous montre, au début du XX° siècle, une Haute-Provence dévastée par le disparition des forêts : étendues désolées, ravinées et battues par le vent, sources taries, présence humaine réduite à quelques communautés misérables. Le reboisement, décrit d’une manière imagée, mais qui s’est déroulé réellement, sous la conduite des Eaux et Forêts, a ramené de la fraîcheur l’été, les sources ont coulé à nouveau, l’agriculture a été possible et s’est développée, la vie est revenue.

Ce conte métaphorique de Giono recouvre une réalité universelle : la renaissance des forêts, en particulier quand elle s’est faite en respectant la diversité végétale, amène de profonds changements : la désertification recule, l’eau revient, la vie redevient possible. Ceci est confirmé tant par le mouvement « ceinture verte » au Kenya que par l’exemple de l’Instituto Terra au Brésil, dans la vallée du rio Doce, qui, en plantant 1 million 700.000 arbres a, en douze ans, fait couler à nouveau des sources, et modifié radicalement la vie des habitants en restaurant le cycle de l’eau : un éleveur, par exemple, témoigne du doublement de sa production de lait par vache, l’herbe étant revenue avec la forêt.

Restaurer la forêt, c’est faire renaître une forêt où les équilibres écologiques sont respectés, en particulier avec sa diversité végétale, garante du développement en son sein d’une vie pérenne.
 

Ceci est évidemment à l’opposé des plantations d’arbres d’espèces uniques, à croissance rapide (eucalyptus, pins...) où on fera des coupes à blanc, laissant le sol nu et propice au ravinement pendant les longues années de repousse qui suivront. Cela ne veut pas dire que la forêt ne doit pas être utilisée par l’homme. Mais pendant des millénaires il avait su le faire sans nuire à la forêt. Si des coupes doivent être faites, c’est d’arbres sélectionnés, en quantité limitée, de manière à préserver le système vivant qu’est la forêt. Et l’agro-foresterie est un exemple de la combinaison entre agriculture et forêt, qui est bénéfique aux deux. Retrouver les symbioses du vivant, faire partout renaître la nature dans sa diversité et son exubérance est un horizon qui s’ouvre à nous avec la fin des énergies fossiles.

Dans un lointain passé, deux tiers des terres émergées étaient couvertes de forêts. Aujourd’hui des millions de km2 sont devenus désertiques, arides, ravinés, où portent des sols morts, dont la vie a été extirpée par notre civilisation productiviste.

De nombreux exemples montrent qu’en un temps assez bref, dépassant peu la dizaines d’années le retour de la forêt peut à la fois faire revenir le milieu naturel dans son ensemble (avec des sols restaurés, un régime hydrologique restitué et régularisé) et modifier le microclimat : les cas de la reforestation en France fin XIX° siècle, début XX°, la renaissance en 12 ans de la forêt au Brésil sur le rio Doce ou le mouvement de la ceinture verte au Kenya ne sont que quelques exemples prouvant qu’une réussite est possible, et qu’elle modifie grandement le paysage, le climat local et surtout la vie des habitants.
 

Notre perspective, c’est pour demain une belle planète, régénérée, où la vie foisonnera de partout, adaptée aux divers milieux naturels. Cela est possible en restaurant le cycle de l’eau, l’arbre étant le pivot essentiel de cette réussite.

 

 

La campagne :

 

Pendant des décennies l’agriculture productiviste a fait partout dans le monde des dégâts considérables : les milieux naturels ont été saccagés, les équilibres écologiques détruits, le cycle de l’eau gravement atteint, et surtout les sols ont été progressivement vidés de leur vie organique, rendant les terres stériles. Elles nécessitent alors toujours plus d’intrants chimiques pour produire... ce qui les détruit toujours plus.
 

Que ce soit le remembrement et la destruction des haies en France ou en Europe, les kolkhozes ou des fermes coopératives géantes d’Europe de l’Est à l’époque socialiste, la révolution verte dans les pays du « tiers-monde » de l’époque, un seul modèle a prédominé : les engrais chimiques, les pesticides, les fongicides, les semences hybrides puis les OGM le tout accompagné d’une irrigation ne se souciant pas de la reconstitution des nappes.

Ils ont été perçus (et vendus) comme pouvant nous délivrer des aléas de la nature, comme des outils pour la dominer et nous soumettre ses mécanismes. Le résultat de cette prétention orgueilleuse de l’humanité est tragique : sols « morts », sols encroûtés où l’eau ruisselle au lieu d’alimenter les nappes, terres asséchées : des petits pas vers la désertification – la planète Mars serait-elle notre modèle ? L’autre version de cette réalité d’un cycle de l’eau bouleversé est les inondations catastrophiques qui deviennent de plus en plus fréquentes, pas seulement à cause du réchauffement climatique, mais aussi à cause du ruissellement favorisé, de l’imperméabilisation des sols par l’urbanisation.

L’alternative c’est de rompre enfin avec le productivisme, sortir d’une agriculture où ceux qui la gèrent ont pour objectif le revenu financier bien plus que de nourrir la population.
 

Le retour à une agriculture en symbiose avec le milieu naturel, qui ne cherche plus à dominer la Nature mais à coopérer avec elle, qui respecte ses équilibres et ses cycles – dont avant tout le cycle de l’eau – est désormais à l’ordre du jour : l’agriculture paysanne, utilisant un minimum ou pas d’intrants chimiques préserve le milieu naturel tout en utilisant ses fonctionnalités, elle améliore la fertilité des sols, y séquestre durablement du carbone dans l’humus et elle veille à préserver la ressource en eau.

Les exemples de transformation radicale du milieu naturel par la restauration du cycle de l’eau en lien avec une agriculture respectueuse de l’environnement sont nombreux : au Rajasthan, le district d’Alwar, naguère semi-désertique, est aujourd’hui fertile et prospère, des rivières qui ne coulaient plus depuis quarante ans coulent à nouveau.
L’agriculture désormais préserve et améliore les sols à nouveau, avec le développement de l’agriculture biologique : le levier de cette métamorphose n’a été que redonner l’eau de pluie à la terre, l’y faire s’infiltrer naturellement, en creusant à nouveau les « johads », petites réserves d’eau ou creux dans le sol.


Photo : http://en.howtopedia.org/wiki/How_to_Start_Culture_in_Zai_Holes


En région semi-désertique, en Afrique, des exemples prouvant qu’il est possible de redonner l’eau à la terre, et après quelques années d’obtenir l’arrivée de végétation sur un sol nu à l’origine et de pouvoir le cultiver existent comme au Burkina-Faso, avec le zaï pour infiltrer l’eau ou avec des cordons de terre pour la retenir et éviter le ruissellement.

En climat tempéré, même sur une zone aride, les résultats peuvent être spectaculaires. Au Portugal, l’éco-village de Tamera, dans un environnement asséché, contraste par sa verdure avec les alentours : lacs et espaces multiples de rétention d’eau favorisent l’infiltration de la pluie dans le sol, cultivé suivant les méthodes de la permaculture.
Partout, le constat est le même : quand l’eau a été rendue à la terre, la végétation revient, l’humidité aussi – en rapport évidemment avec le zone climatique – et la nature est restaurée, parfois plus belle qu’elle ne l’était bien auparavant, avant les nuisances dues à notre civilisation.

 


Les villes: 

 

Les villes sont impactées de deux manières par le changement climatique : la chaleur étouffante l’été, et les destructions liées aux inondations catastrophiques.
Dans les deux cas, la croissance urbaine et l’imperméabilisation des sols sont en cause : la croissance urbaine augmente l’effet d’îlot de chaleur urbaine (lié au rayonnement solaire sur les surfaces imperméables : béton, toitures, asphalte) et à la faible évaporation liée aux faibles surfaces de terre naturelle et au peu d’arbres donc au manque de rafraîchissement apporté par la végétation.

 

 

 


Les sols imperméabilisés accroissent le ruissellement en cas d’orage ou de forte pluie. Au delà d’une certaine quantité, les réseaux sont saturés et débordent. Les rivières, souvent canalisées et enserrées dans des digues, ne peuvent s’épandre (en ville ou en amont)  et débordent : le phénomène est récurrent, il s’est produit encore fin août 2015 à Montpellier, puis avec de nombreuses victimes, et début octobre dans les Alpes Maritimes. 
                                                                            
Comme partout, la solution est de « rendre l’eau à la Terre », en la faisant s’infiltrer là où elle tombe, en dés-imperméabilisant les sols, en libérant les rivières, en ville ou sur leur parcours.




Illustrations: « Une nouvelle gestion des rivières arrive à l’heure de la Gemapi » agence de l’eau RMC

Ainsi on peut limiter le ruissellement (en évitant les coûteux ouvrages de stockage des eaux d’orage) et alimenter les nappes phréatiques, au lieu de rejeter l’eau dans les réseaux d’assainissement puis finalement à la mer.
L’augmentation du niveau de la mer liée à la croissance urbaine (évaluée à 2,1 mm par an) n’est pas à négliger... or les experts du climat ne la comptabilisent pas : il faut dire que cela remettrait en cause notre développement actuel.


Grenoble : écoquartier de Bonne avec 100 % d’infiltration
 
Les exemples ici sont multiples, et les bonnes politiques commencent, par endroits à être appliquées. De plus en plus de villes prescrivent l’infiltration des eaux de pluie dans leur plan local d’urbanisme, au moins partiellement. Des zones construites sont réalisées avec 100 % d’infiltration des eaux de pluie. Des voiries de même. Ou les villes poussent à recourir aux toitures végétalisées, et exigent des plantations en pleine terre.

Depuis une vingtaine d’années le cours du Rhône a été renaturé, une nouvelle gestion des rivières se fait jour, avec des méandres, des bras morts ou des zones humides restaurés, un parking de plusieurs niveaux en bord de Rhône à Lyon a été détruit pour reconstituer des berges naturelles. Ailleurs, ce sont des rivières jadis recouvertes qui sont restaurées, avec des berges naturelles et arborées.
La prévention des inondations peut aussi prendre d’autres formes, l’expérience du programme mené en Slovaquie en 2010-11 prouve l’efficacité de
milliers de petits ouvrages de retenue, réalisés avec des matériaux locaux et à faible coût, dans des talwegs d’écoulement intermittent d’eau d’orage ou sur des cours de ruisseau. 

Photo Michal Kravčík

Avec 70 petits barrages sur 2 km de talweg, sur une zone inondée en 2010 lors des crues sur le bassin du Danube, tout problème a été évité lors des inondations de 2013. La photo montre l’état lors de la réalisation ; aujourd’hui, le même lieu, que j’ai pu visiter en septembre dernier est totalement encombré de végétation et d’orties, l’infiltration des pluies ayant rendu ce vallon humide.
Ces réalisations, avec d’autres, seront visibles dans le film de Valérie Valette « Les fleurs du futur, Dobra Voda » consacré à la restauration du cycle de l’eau et au climat, qui doit sortir fin novembre 2015.
Mais au delà de ces solutions prometteuses, le problème principal reste : partout les villes prévoient d’imperméabiliser des surfaces nouvelles, avec de nouveaux projets de zones commerciales, d’activités ou d’habitations, souvent en détruisant des terrains agricoles ; les projets de la métropole du Grand Paris sont particulièrement significatifs à ce sujet, comme l’est le projet d’aéroport de Notre Dames des Landes, avec un maître-mot : la sacro-sainte compétitivité.

 

 

Au niveau global:

 

Le GIEC s’est saisi de l’enjeu du changement climatique global, lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il ne parvient pas à nous engager vers un monde d’où disparaissent les énergies fossiles, c’est pourtant la voie de l’avenir.

Par contre il ignore le changement climatique lié au cycle de l’eau, celui qui s’effectue à l’échelle locale et est tout autant que le changement global, lié à l’action destructrice de notre civilisation.

La restauration du cycle de l’eau pourtant, peut changer la face de notre planète.
 

En partant du local, la mise en place d’un « plan d’action global pour la restauration des cycles naturels de l’eau et du climat » est à l’ordre du jour. Il a fait l’objet d’une proposition élaborée par l’hydrologue slovaque Michal Kravčík et la journaliste et éditrice de "The Green Valley Journal" (USA) Jan Lambert.
Il doit être pris en charge par les instances internationales, comme le fait le GIEC pour le changement climatique global.
Nous avons ici une nouvelle tâche : travailler ensemble à la constitution d’un nouveau collectif international d’experts scientifiques, de citoyens et de représentants politiques pour rendre l’eau à la terre à l’échelle de la planète, et par là, nous donner les moyens de régénérer celle-ci.

C’est toute l’eau dont les sols ont été privés par le ruissellement et qui a été extraite des nappes par le puisage excessif qu’il s’agit de redonner à la terre, si nous voulons restaurer celle-ci. Ceci pourrait représenter 760 milliards de m3 d’eau de pluie par an.
Cette tâche en apparence gigantesque n’est l’est pas en réalité, puisqu’elle peut et doit reposer sur la réalisation de centaines de millions de petites rétentions, stockages, lieux d’infiltration et être accomplie partout dans le monde : pas de grands ouvrages ni de gros investissements, mais du travail partout pour des millions de personnes sans-emploi.

Le résultat en sera des sols à nouveaux humides, une végétation vivifiée, des terres reconquises sur le désert, des forêts replantées au lieu d’être supprimées, un climat apaisé.

Une nouvelle étape pourra ensuite s’ouvrir pour l’humanité : comment sera-t-elle appelée ?

L’après-anthropocène, ou une deuxième phase de celui-ci, à l’opposé de la première, si destructrice ? Car elle marquera une nouvelle union entre l’activité humaine et celle de la nature, celle d’une Terre-Mère restaurée avec ses sols vivants, son eau et son atmosphère sains à nouveau : pour le millénaire qui s’ouvre, un nouveau paradigme pour une humanité qui ne domine plus la Nature mais s’allie à elle, et qui ne soit plus prédatrice des énergies fossiles enfouies dans son sol.






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